mardi 20 mai 2014






"Les personnages de mon rêve
sont venu converser avec moi
hors de mon rêve.
Et cela, ils n’ont pas pu le supporter.
Ils se sont sentis prisonniers
des formes truquées
de ce rêve à l’envers.
je n’ai pas su les retenir.
Je n’ai pas su créer pour eux un autre rêve au
dehors.
Un rêve véritable.
Pourrai-je me remettre à présent
à converser avec eux au-dedans ?"

Roberto Juarroz, Quinzième poésie verticale, José Corti, p. 38,39.





dimanche 18 mai 2014

Dialogue avec le Chat- Bouddha. 2


Je me souviens de toi, souriant. Tu dormais. Paupières mi-closes. Chat-Bouddha. Au museau en étoile. Une chanson d’enfant sur les lèvres :
« Clair de lune, blanc ivoire, où se dresse un banian, Petit bonhomme de la lune y embrasse un songe. Dans le silence, douceur tranquille, Petit bonhomme, que fais-tu dans la lune ?
Le vent n’a pas de maison, le vent vole en toutes directions, jamais le vent ne s’arrête …
La lumière s’est détachée, la voilà sur la colline. Puis elle a grimpé à l’arbre mais ses jambes fatiguées l’ont faite se poser là. 
Nous pénétrant de la rieuse lumière, nous voilà en joie, en jeu sommes prêts…
Si tu veux aller dans la lune, demande donc une échelle à monsieur Ciel. Au 15 Août, immense est la lune, demande une échelle à monsieur Ciel, si tu veux l’atteindre. »
Il a entr’ouvert les yeux. Le chien l’a regardé. Lui a dit l’air étonné :
-Où sont passées tes oreilles ?
-Je chantais. Point besoin d’oreilles quand on chante. Je ne supporte pas ceux qui s’écoutent chanter ou parler…
Vie du vent, vie de la lumière, remous de l’enfance. Où commence la vie ?
« Pour les âmes, la mort est de se changer en eau. Pour l’eau, la mort  est de devenir terre. Et cependant de la terre naît l’eau, et de l’eau, l’âme[1]. »
C’était un Chat-Bouddha. Le chien a regardé la mère et lui a dit :
-Tu dois aimer les chats.
-Pas forcément, a dit la mère.
Elle n’a pas su d’où lui était sorti ce mot «  Chat-Bouddha ». Peut-être des yeux de pierre de ce vieux bouddha qu’elle avait vu. Le front ébréché par le temps. Au sourire éternel. Résistant à tout. Inoxydable aux intempéries de la vie. 


Bouddha faiseur de boddhillons, en haillons mais si joyeux et si pauvres. Ils ne peuvent être que de pierre à être heureux en étant pauvres. Sans besoin aucun. Et courir pieds au vent. Comme les bambous jettent leurs dernières fleurs, avant de rejaillir en pousses neuves, bouddha fait ses boddhillons. Pour propulser non pas tant la vie, mais cette vigilance envers elle. 
Le chien est revenu interroger Chat-Bouddha.
-Tu crois que tu peux ainsi oublier la vie terrestre ? Tu commences à peine de vivre.
-Ceux qui ne savent pas écouter, ne savent pas parler. Jamais alors ne commencent à vivre.
Les volets battent contre le mur. Respiration du vent. Attentifs au souffle. Aux herbes, aux brindilles. Le chat s’est roulé sur le sol, pattes en l’air, au soleil. S’offrant aux caresses. A la chaleur. Aux sourire.
-Minou, mouni, minou !
Il n’a même pas daigné tourner la tête. Faisant mine de rien. Adolescent de quelques siècles.




[1] Héraclite, Fragments, 36.

mardi 13 mai 2014

Dialogue avec le Chat, le matin, 1.


En clin d'oeil au Chat Le chat:
 paru sur " Le cosaque des frontières "


J’aime cette heure du matin, fragile entre toutes. Lumière qui éclaircit la nuit. Entre les feuilles. Et cette petite tasse chaude qui réchauffe le corps. Je m’étais habituée au chat. A ses disparitions. A ses reculades. A ses réapparitions aussi, en cette heure matinale. Il venait s’asseoir comme si de rien n’était, au pied du coussin. Assoupi. Ronronnant. Il m’avait dit «  Nénuphar peut-être, à ma prochaine vie ! ». J’ai repensé à cet étrange distique. « La rose est sans pourquoi [1] » La rose vit, la rose est. Elle advient à ce qu’elle est. A cette heure de l’aube. Où vient la plus matinale des perceptions. Rose, nénuphar, chat, unis. En cette lumière propice. Où tous les chats sont gris, rose, nénuphar. Etre aux multiples moires. Ne connaissant ni l’unisson, ni le pas cadencé d’une identification, d’une seule. Seulement flottants à la surface de la boue. Et se dispersant au matin.




Le chat vint à s’étirer. Observa le margouillat. Voulait-il devenir chat, nénuphar, lui aussi ? Agrippé à son pauvre mur blanc. Tendu comme une toile blanche. Vide.
Le chat revint vers moi et engagea la conversation comme l’autre jour. Il me regarda et dit sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche.
-Pourquoi écris-tu comme ça, sans cesse ?
Je lui répondis :
-Cela ne te regarde pas.
Puis après un moment de silence. Ennuyée de ne pouvoir me retenir, je lâchai :
-Je vais te le dire quand même. Je me lève et dès le matin, j’écris. Cela s’ordonne dans ma tête. Les mots s’alignent. Les vieux mots de la veille. Puis ceux plus frais du matin. Je les dispose, je les rafraîchis et leur donne vie nouvelle. J’essaie de donner mouvement à ce qui est en moi. Ma page se construit. Mot à mot. Phrase à phrase. L’espace s’ordonne ainsi. Et quand la page est finie, mon monde s’est réorganisé, reconstruit. Vivant pour la journée.
Je poursuivis. Ne m’adressant plus au chat. Qui s’était enroulé sur lui-même. Endormi peut-être. Il ouvrait un œil. Semblait me guetter puis se rendormait. Je me demandais alors si certaines de mes pensées ne l’avaient pas assommé et envoyé au paradis des chats. Le monde dans la main. Démiurge d’une feuille. Dérisoire. Inutile.
-Qu’est-ce que c’est que cette histoire ! soupirait le chat à travers ses moustaches. Il fronçait les sourcils. Plissait le front.
Oui, écrire me tient, le matin. Et les lignes de la feuille comme celles de la main. Dures nervures jusque dans le creux de la paume. Qui ne cesse d’écrire. Et tourne autour. De ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire.
Quand je travaille, le temps me fuit. Que devient alors le monde qui ne peut se réorganiser ? Le chat me demande alors :


                               
[2]


-Tu dois le faire sans cesse ?
-Pour que cela tienne oui, c’est sans cesse.
-Pourquoi donc les mots, les phrases ne restent-elles pas stables ?
-Je ne sais pas moi-même. Quand je n’ai plus rien à écrire, je me sens dans l’abandon. Perdue au monde. Il faut que les mots le tiennent. Le pétrissent. L'inventent.

Le soleil est haut maintenant. Il est facile d’écrire, avec un chat pour interlocuteur. Sans lui parler. Mais moi, j’écris comme je lui parle. En silence, en mon for intérieur. Sans pourquoi. Je pensais.
-Chat, alter-ego. Chat- hypnose, rose, nénuphar, nature. Chat souriant. Chat-margouillat…qui es-tu dans toutes ces réincarnations ?
Et certains qui pensent qu'il n'y a que chat noir ou chat blanc. Pauvre monde binaire où les bons sont d'un côté et les méchants de l'autre.

Le matin est bien engagé maintenant. La nuit s'est laissée diluer par la lumière. Nuit/jour, hiver/été, guerre/paix… Seule reste la voix Polyphème. Qui ne voit ni n’entend, si ce n’est à rebours, à rebrousse-poil. Une voix qui tâtonne, qui erre, qui hurle la douleur de la nuit et qui cherche l’aurore. Qui ne lutte contre « Personne » et qui crie par-delà la mer.

   3


Le chat semblait lire en moi. Et me dit 
-Un peu de calme. Tu ne t’égares pas un peu, là ?
Je lui répondis :
-L’autre jour, tu as voulu à tout prix que je t’attende, que je te parle, que je te réponde. Tes questions n’interrogent pas. Tu juges, tu jauges, me mettant à la question. Mais tu n’interroges pas.
-Je ne comprends rien de ce que tu dis, dit-il en souriant.
Je ne répondis rien, sachant que c’était encore une de ses  manœuvres félines familières …
Je regrettais déjà la pensée matinale. Pensée de l’aube, à bout portant sur les choses. Qui disparaît avec la lumière du jour. Soleil oblique sur les feuilles. Vert printemps. Dilué de jaune de Naples. Blanc titane. Mimant les grains de la lumière.







[1] Angelus Silesius.
[2] Chat, Aoyama, 1930.
(3) Polyphème, Gustave Moreau