samedi 18 janvier 2014

L'invention d'Ulysse

                                                           





Il existe dit-on des " chemins humides" qu'emprunta Ulysse pour rentrer chez lui. Ce sont des chemins qui disparaissent au fur et à mesure qu'ils se forment à la surface de l'eau. A chaque traversée il faut les réinventer car ils peuvent être perdus à jamais.
C'est ce que relate l'Odyssée de celui qu'on a nommé le rusé, l'homme à la métis multiple, cet homme toujours à la recherche de nouveaux passages. C'est Ulysse l'inventif.









mercredi 1 janvier 2014

Le Daruma

« En 1817, pendant un voyage d’Hokusai à Nagoya, le peintre recevait la commande de nombreuses illustrations de livres, et comme ses élèves vantaient l’exactitude de la représentation des êtres et des choses dans les dessins du maître, dessins d’un format relativement très petit, les adversaires de la peinture vulgaire déclaraient que les petites choses que produisait le pinceau d’Hokusai, étaient du métier, n’appartenaient pas à l’art.Propos qui blessaient Hokusai, et qui lui faisaient dire, que si le talent du peintre consistait dans la grande dimension et les grosses touches d’une œuvre, il était prêt à étonner ses adversaires. Et c’est alors que son élève Bokusen et ses amis lui vinrent en aide, pour exécuter en public une formidable peinture – un Daruma d’une bien autre proportion, que celui-déjà peint en 1804. Ce fut le cinquième jour du dixième mois de l’année, que cette peinture eut lieu devant le temple de Nishighakejo, et la biographie japonaise d’Hokusai en donne la relation illustrée, d’après un récit avec dessins de Yenko-An, un ami du peintre.
Au milieu de la cour nord du temple, défendue par une palissade, avait été développé un papier fait exprès, et ayant plusieurs fois l’épaisseur du papier servant à couvrir les manteaux au Japon. Et ce morceau de papier sur lequel Hokusai devait peindre, avait la superficie de 120 nattes. Or la natte japonaise mesure 90cm de largeur sur 180 de hauteur, ce qui faisait à l’artiste un champ de peinture de 194 mètres. Et pour que le papier pût rester tendu, il avait été fait dessous un lit de paille de riz d’une grande épaisseur, et, de distance en distance, des morceaux de bois servant de presse, empêchaient le vent de soulever le papier. Un échafaudage avait été monté contre la salle du conseil, et faisant face au public, échafaudage, au haut duquel étaient attachées des poulies, attachées à des cordes, pour soulever l’immense dessin, dont la tête était fixée à un madrier de bois gigantesque. Des pinceaux de grande dimension se voyaient tout prêts, des pinceaux dont le plus petit était de la grosseur d’un balai, et l’encre de chine était préparée dans des cubes énormes, et transvasée dans un tonneau. Ces préparatifs occupaient toute la matinée, où dès les premières lueurs du jour, se pressaient dans la cour du temple pour voir exécuter le dessin, une foule de nobles, de manants, de femmes de toutes sortes, de vieillards, d’enfants.
Dans l’après-midi, Hokusai et ses élèves, dans une tenue demi-cérémonieuse, les jambes et les bras nus, se mettaient à l’œuvre, les élèves puisant de l’encre dans le tonneau, et la mettant dans un bassin de bronze, avec lequel ils accompagnaient là où il allait, le peintre peignant. Tout d’abord Hokusai prit un pinceau de la grosseur d’une botte de foin, et après l’avoir trempé dans l’encre, dessina le nez, puis l’œil droit, puis l’œil gauche du  Daruma : alors il fit plusieurs enjambées, et dessina la bouche et l’oreille. Après il courut tracer la configuration du crâne. Cela fait, il exécuta les cheveux et la barbe, prenant pour les dégrader, un autre pinceau fait de filaments de coco, et qu’il trempa dans une encre de Chine plus claire. A ce moment, ses élèves apportèrent sur un immense plateau, un pinceau fait de sacs de riz, tout imbibé d’encre. A ce pinceau était attachée une corde, et le pinceau posé à l’endroit que Hokusai indiqua, il attacha la corde à son cou, et on le vit traîner le pinceau attaché à la corde, le traîner à petits pas, et faire ainsi les gros traits de la robe du Daruma.
Quand les traits furent achevés, et qu’il fallut mettre le rouge à la robe, les élèves prirent dans des seaux, la couleur, la jetèrent avec des pelles, tandis que quelques-uns pompaient avec des linges mouillés les endroits, là où il y avait trop de couleur.
Ce ne fut qu’à la tombée de la nuit que l’exécution complète de Daruma fut terminée, et qu’on put soulever au moyen de poulies, la grande machine peinte, et il y eut encore une grande partie du papier traînant au milieu de la foule, qui, selon l’expression japonaise, semblait une armée de fourmis autour d’un morceau de gâteau. Et ce ne fut que le lendemain, qu’on put surélever l’échafaudage, et accrocher seulement en l’air la peinture.
Cette séance fit éclater le nom de Hokusai, comme un coup de tonnerre, et pendant quelque temps, dans toute la ville, on ne vit dessiné sur les chassis, sur les paravents, sur les murs, et même sur le sable par des enfants, rien que des Daruma rien que l’image de ce saint, qui s’était imposé la privation de sommeil, et dont la légende raconte, qu’indigné de s’être endormi une nuit, il se coupa les paupières, les jeta loin de lui, comme de misérables pécheresses, et que par suite d’un miracle, ces paupières prirent racine où elles étaient tombées, et qu’un arbrisseau, qui est le thé, pourra donner la boisson parfumée qui chasse le sommeil. »

E. De Goncourt, Hokusai.