dimanche 23 février 2014

Histoires absurdes

-Tu sais, je lui avais donné rendez-vous. Je lui avais bien dit l’adresse, le nom du café. Eh ben figures-toi, elle m’a posé un lapin avec deux grandes oreilles ! Elle n’est pas venue.
- As-tu fait attention au code ? Tu sais, il ne faut pas faire n’importe quoi avec les codes…
-Je sais, je sais, j’ai choisi le café, pas trop ostentatoire. Avec des  coins discrets où l'on pouvait se parler. J’ai amené des fleurs. Tu sais pas le genre « roses rouges », très balourd. J’ai choisi des couleurs variées.  Elles racontaient toutes des histoires de loin, pas trop appuyées.
-Oui. Mais il n’y a pas qu’un seul code.
-Je sais, je sais. Code 1, code 2, code 3 même ! Je me suis renseigné !
-Oui, mais as-tu pensé à f(t) ? t pouvant être t1, t2, tn… Le code varie aussi avec le temps. Il suffit de pousser un peu trop loin ou pas assez loin le curseur et pfuit… t’es fichu. Te voilà en dehors de tout code. Avec un code dépareillé, obsolète ou trop post moderne. Décalé. Complètement. Comprends-tu ?
-…
-Sans compter le premier degré, le deuxième degré, le nième degré de chaque code et … f(t) toujours… Tout dépend de l'époque…
-Mmm. J’en ai eu marre, je suis rentré chez moi. J’ai regardé les roses. Puis toutes leurs couleurs. J’ai imaginé sa tête, ses expressions à travers chaque couleur. Je me suis raconté des histoires. Tout seul. Face à moi-même. Toute l'après-midi. Elle n’était pas venue. J'étais vraiment déçu.
- Et après qu'as tu donc fait ?
-J’étais si dépité, je me suis donné rendez-vous le soir à vingt heures. Devant chez moi. Impossible de me rater.
-Ah bon ? Pourquoi vingt heures ?
-Je rentre tous les soirs à vingt heures. Et bien, figures-toi,  il n’y avait personne. Je ne me suis pas découragé, je me suis redonné rendez-vous à minuit. Parce que je me suis dit : peut-être que j’avais décidé de rentrer plus tard, ce soir-là. Alors je suis revenu devant ma porte à minuit.
-Alors ?
-Il n’y avait encore personne ! Soudain je me suis dit : Suis-je bête ! C’est l’heure où je suis au lit ! J’ai couru vers le lit. Il n’y avait encore personne !
-Tu n’étais pas là où tu pensais être !
- On connait la chanson ! Je crois que les êtres humains sont comme les  pelures d’oignons. On enlève les couches et au milieu il n’y a plus rien. On a beau vouloir être quelque part, on ne s’y trouve pas et  là où on est, on découvre qu’on n’est rien.
-C’est absurde !
-Oui c’est absurde. Mais j’aime les histoires absurdes. Ça n’enlève rien au fait qu’au milieu il n’y a rien.

J’étais étonnée. Il riait, rouge de plaisir. Il m’avait dit quelques semaines plus tôt, qu’il voulait se trouver, chercher ce qui n’allait pas pour lui. Il ne faisait pas de rencontres sérieuses, tout était toujours raté, était-ce à cause de lui ? Alors, il voulait savoir qui il était. Et là, il était tout aise de n’avoir trouvé personne. Bien sûr, c’était rapide de se demander s’il voulait vraiment se trouver. Mais à supposer qu’il se cherchait vraiment et qu’il voulait vraiment se trouver, son histoire de pelures d’oignons m’intriguait.

Je l'ai regardé. Il y avait une chose étrange que je n’avais jamais remarquée. C'était tout à fait subtil et je ne l’avais jamais vu jusqu'à présent. Il lui poussait sur le sommet du crâne deux prolongements translucides ponctués d'yeux noirs comme deux graines de sésame grillé. Une tête d’escargot progressivement avait envahi son visage. Elle avait deux antennes qui exploraient le monde environnant. Elles s’étiraient à droite puis à gauche, et elles se rétractaient au contact des objets.

J’ai secoué la tête. J’ai fermé les yeux. Puis je l’ai fixé à nouveau. Il avait disparu.

Cette histoire de pelures d’oignons m’avait laissée perplexe. Il n’y a donc rien au centre ? Ou bien tant que l’on vit, les pelures se desquament et se transforment ? Soudain j'ai senti quelque chose pousser au dessus de mon crâne.


C'est là que je me suis réveillée...-




jeudi 20 février 2014

L'éléphant de pierre

Il s'est assis. Massif. Avec sa face de pierre. Et des lobes d'oreille allongés jusqu'aux épaules. Signe de longévité. Celle des éléphants déteinte sur son visage. Il est silencieux. Certains diraient taiseux. C'était pour lui une deuxième nature. Petit éléphant de pierre devenu. Il n'a pas dix ans.

-Tu voulais dire quelque chose ?
-Hmm...

Il n'a rien à dire. J'ai alors tourné ma chaise vers l'océan. Nos regards ont décroisé. Il m'a alors demandé :

-Pourquoi avant, le monde était en noir et blanc ?
-Ah ! Je ne savais pas qu'avant, le monde était en noir et blanc ...
-Ben oui, j'ai vu ça sur les photos des parents.

Le silence est tombé. Il a enlevé des miettes imaginaires de ses genoux de pierre. A force de naviguer entre deux langues, il avait perdu des mots en route. Et certaines lettres étaient tombées de son alphabet de pierre. Quel destin ont donc les langues quand on a perdu le désir de parler ?

Petit éléphant était assis face aux espaces infinis. Lourd. Massif. Avec cette question sans réponse sur ses genoux de pierre. Elle lui arrivait comme un koan. Elle devenait méditation. Perplexité.
Abîmes de mystères. Paroles potentielles.