lundi 18 novembre 2013

"Le courant lent de l'oeil des mots"

"Je dirais orage. Je dirais fleuve. Je dirai tornade. Je dirais feuille. Je dirais arbre. Je serai mouillé de toutes les pluies, humecté de toutes les rosées. Je roulerais comme du sang frénétique sur le courant lent de l'oeil des mots."

Aimé Césaire.

Cahier d'un retour au pays natal.





samedi 16 novembre 2013

" Choses bisaiguës"


                                                             Forêt de Wifredo Lâm

"que cherches- tu à travers ces forêts
de cornes de sabots d’ailes de chevaux
toutes choses aiguës
toutes choses bisaiguës…
j’ai reconnu aux combats de justice
le rare rire de tes armes enchantées…"
dit le poème. 
Wifredo Lam  du recueil Annonciation.

samedi 9 novembre 2013

"Accueillir l'inconnu sans le retenir"





Ecrire au dehors, en dialogue avec le vent, avec les pierres, avec la mousse qui ravine.
Mais qui écrit ? Ou qu'est-ce donc qui écrit  ? 

Des choses puis des mots viennent tailler la pierre. Des choses toutes faites, des choses volatiles qui ondoient dans l'air humide et dont les fragments semblent comme empassionnés par le dehors qui les disperse.  Mais une fois déposés, les voilà qui se retournent sur eux-mêmes pour dialoguer encore et "accueillir l'inconnu sans le retenir"... 




C'est une expérience intérieure tellement intime au monde qui l'entoure. C'est du moins ce qu'elle s'imagine. Car quoi de plus distinct qu'elle et le monde, si ce n'est le regard qu'elle pose sur lui ?

Et tous, choses et mots, viennent tenir parole, au festin du monde. Ce n'est pas une parole fixée, engagée, de celle qui coince et qui dit " je l'ai dit donc je le fais ! Je tiens parole, moi ! "Oh non. Pauvreté d'une parole qui croit saisir la lumière plate de la compréhension, celle des mots simples qui disent qu'une pierre est une pierre, qu'un arbre est un arbre et on y croit. Peau de chagrin d'une parole qui communique.

Ici, ils tiennent la parole et ils inventent en son sein, la richesse des mots pauvres, ils la déroulent, dans ses moires, dans ses incompréhensions, dans ses contradictions. Ils ouvrent la voie aux mots, aux images, aux couleurs. Des scènes surgissent, un imaginaire de la terre. Et ça parle de toujours. De ces milliers d'histoires si profuses que la nuit noire du monde ne peut toutes les contenir. C'est leur  version de tenir la parole. Fête de la parole. Jusque dans ses brisures, ses éparpillements, ses mots éclatés, insensés, dont il ne reste que l'écorce sonore qui vibre comme un gong encore et encore. Au loin. Dans la mémoire des arbres, du vent, des yeux de pierre, jusqu'à celle des brûle-parfums. Ils scrutent ton âme. Ils l'interrogent. N'entends-tu pas ?

Parler, écrire. C'est une voix circulaire, en archipel à travers le monde, qui jamais ne finit de dire. Et elle va jusqu'au point où  le langage trébuche et se suspend.





lundi 28 octobre 2013

Sourires de pierre



C'est un sourire de bouddha.. Il a les lèvres effacées par les mains des pèlerins venus cueillir à sa bouche le souffle qui leur manque. J'aimerais.

Serait-ce celui d’une femme ? Ou celui des jeunes moines croisés sur le chemin ? Leurs rires rebondissent encore sur les cailloux. Ils racontent le jour, la nuit, l’histoire de la pluie. Ils font oublier l'histoire des malheurs des hommes. 

De l’autre côté de la terre, j’ai croisé un christ roman au sourire si doux. J'ai parcouru la courbe de son ovale. J'ai sondé son regard jusque dans le grain de la pierre, fouillant les cataractes de ses yeux aveugles. J'aimerais.

Sourires de pierre.

Histoires opaques, aux particularités effacées dont il ne reste que des empreintes à même la pierre.

Histoires d'amour, de vide, de pleins et de déliés. J'aimerais.

Elles racontent les histoires de l'autre hémisphère.

Au sein de leurs grains de pierre. Cristaux aux serres d'acier. Qui retiennent les bribes de phrases en suspens. Agglutinées à l'air du matin. J'aimerais.






Réveil improbable ?



« La vie est un songe ». Leitmotiv depuis des siècles. Tout autour de la terre. Il insiste, hache les phrases, heurte le souffle. Meurtres, amours, illusions, décadences, tous enfouis au sein de la nuit, imbibés de la moiteur des draps. Petits fantasmes bénins. Qui dictent leur éternité de sommeil. Tout autour de la terre. Tombés dans l'oreille de sourds, incrédules, impavides. Leitmotiv inutile.

Ce sont des mots-sommeil. Si beaux qu'ils endorment. Si doux qu'on n'y comprend plus rien.  Ils racontent des histoires. Sur les plages de la nuit. Assoupies.

Mais voilà, le matin a effacé les ombres de la nuit. C'est une vigilance blanche. Qui veut oublier. Essorée par les cycles des sommeils. Arrivent alors des êtres revêtus de leurs costumes d'entre-deux mondes. Entre rêves et réveil. Métissés. Fragmentés. Eclatés. Débris minuscules, broyés par la morsure des songes. Ils arrivent quand vient le jour et que se réinstalle le couvercle des habitudes. Ne savent plus.

Ne restent alors au matin que des mots obscurs. N'arrivent plus à sortir. Ils vont jusqu'à se demander : "Mais qu'ai-je donc dit ?"
Humilité vagabonde. Certaine incertitude. Ils guettent l'épure d'une improbable lumière.
Mais "la vie est un songe", qui ne le sait ? Ce sont des mots-sommeil. Si beaux qu'ils endorment. Des mots qui endorment en voulant réveiller. C'est comme un vaccin qui jamais ne prend.

Alors, pourquoi écrire donne parfois le sentiment de se réveiller ? De franchir sans cesse ce pont entre deux. Car pas à pas. Entre deux phrases, entre deux mots, joindre les deux bouts. Relance. Jamais assurée. Intranquille. Qui s'essaie, efface, joue. Se tait. Puis réveille doucement la coque des mots.

Ils sont devenus insignifiance, bruit, coulures du monde.

De ce côté - ci des mots, dans leurs zones d'ombre.  Ecrire. Réveil improbable...?



dimanche 27 octobre 2013

L'ermitage du bananier


Vous qui vouliez pénétrer ses feuilles,

Pluie glacée,

Vent déchirant.

Comment  maintenant y habiter ?









jeudi 17 octobre 2013


Ecrire

C’est un tableau qui donne envie de peindre. Il est dans un musée. Il se veut abstrait. On aimerait l’habiter. Des lignes s’y rejoignent au-delà des formes. Juste des traits avec un vide qui suggère. Le regard les complète. Il franchit le vide qui les sépare. Parfois, il y en a comme ça, sur les vieux murs d’ardoise, des lignes formées par les fissures des pierres. La matière suggère. Elle écrit. Peindre ou écrire, une seule et même chose, le monde dans la main, disaient les vieux peintres chinois.

Ecrire.

Un chemin. Sur une ligne de crête, au soleil levant. Avec le mal-être dans le dos.

Le « mal » tire d’un côté. Sur les chemins bruyants le long du versant ensoleillé, il pousse à écrire. Ça commence toujours comme ça. « Ecrivez ! » Et le « mal » devient bavard. Il force le trait. La paille, la poutre, vous savez…, ça encombre les yeux, obscurcit le texte, incommode la lecture.

Et puis « l’être », de l’autre. Enfoui dans les forêts. Sur le versant ombré. Il voulait dire la substance de ce qui s’est écrit quand est née la parole. Puis, un jour, toutes les histoires qu’on avait besoin de raconter, ont disparu. Ne reste que ce désir qui pousse à dire encore et encore. Mais quoi ? Raconter, malgré tout, de petites histoires....  Autrement ? La vie n’est faite que de cela. On n’échappe pas aux petites histoires. On peut les aimer. Ou non. On peut en rire. En pleurer. Peut-être même y croire. C’est selon. Et tout ça, c'est encore la vie, dans tous ses états. Elle vient. Elle miroite. A travers ses yeux mi-clos, un soir de fièvre, quand s’endort le jour. Par un mail inattendu qui dévoile la neige tombée sur les cheveux d'un vieil ami, après des années d’absence. Quand la chaleur prend le corps dans son désir. Toujours, elle raconte. Le temps, cet artiste, à partir de mille riens, raconte. Car même si ces récits ne sont rien, rien ne se dit sans ces récits. Sans eux, nous ne sommes rien.

Ecrire rend intime à ce rien. Se fait locataire des fissures de nos certitudes.
Ecrire en se souvenant du mal, sans oublier l’être.
Ecrire, car devant sa page blanche, le monde, dans le même temps, se réordonne. De par la grâce de tous ses aménagements de plume. Ecrire car avec lui, vient le sentiment que les choses à nouveau se redéploient.

Ecrire. Respirer. Voilà le vent.  Encore.

lundi 30 septembre 2013

Un éveil à l'enlevé






"Si quelqu'un vient
Changez-vous en grenouilles
Melons qui êtes frais."
Issa



L'art du déchagrin

C’est une île en plein océan. Loin de la côte. C’est une île sans pollution lumineuse. Où oublier ses ennuis. C'est une île où il est possible de ne goûter qu'à la clarté des étoiles, à la lune et aux planètes lointaines. On imaginerait leurs habitants. Sous une voûte peuplée où résonne la voix d'espaces inconnus. Et tout serait à refaire.

Elle voudrait tant trouver son chemin. Il y a des destins qui présentent seulement un accroc de départ. Et cela oriente toute une vie. Il semble infime. Quelques minutes. Et doucement bascule la vie.

Antiphon avait créé un art du déchagrin. Il disait qu’avec les mots, rien que les mots, il pouvait soigner ceux qui souffrent, les chagrinés, les affligés. On l’avait appelé aussi "l’hypocrite des rêves", le déchiffreur des rêves ( hupokritès), celui qui feint, celui qui répond, « à qui Sommeil accorda cet honneur .»

Il est 4 heures du matin. Elle avait rêvé. Elle me parle au matin, de son rêve. Un rêve étrange où il y avait une ambiance sombre, agitée, où les gens ne parlaient qu’une langue étrangère qu’elle ne comprenait pas. En le disant, en le racontant, antiphonaire de la nuit, les mots l’agitent. Poison ou remède ? Incompréhensible amertume ou douceur d’un sens familier ? Les mots sont pharmakon. Mais le pharmakon est aussi, nous dit un dictionnaire, une lessive, un réactif, un colorant. Les mots laveraient-ils l’âme, coloreraient-ils ses plis, feraient-ils réagir comme un catalyseur les phases du chemin de la vie ?

Elle était assise sur les marches du temple. Quelques siècles plus tard. Quelle importance ? La vie est toujours la même. D'autres êtres, par ici, circulent. Ils ont d’autres habitudes. Ici aussi, les mots colorent la vie. D’autres mots racontent le détachement, l’éphémérité, le fleuve du devenir. Peu importe si on mange du riz, dans des feuilles de bananier. Les chagrinés, les affligés, viennent toujours y chercher le sommeil de leurs douleurs. Un gong sonne. Ses notes semblent envelopper le désarroi comme dans une feuille de bananier fraîche. Les dernières dont elle se souvenait, poussaient, immenses, dans le jardin de sa mère. Au milieu d’elles, des régimes de banane, à la chair parfumée.

Les bonzes sont souriants. Une joie enfantine se lit sur leur visage. Ici, ils apprennent. Ici, ils ont de quoi manger. Ici, les familles les ont confiés à leurs aînés. Ici ou ailleurs. Chance de la vie. Apaisement.

Ephémérité du temps.

Une barque sur l’océan.

Incertaine.


dimanche 29 septembre 2013

Laisser le texte s'amender...2



                                                                                                        ?

Il y a des phrases qui vous tournent dans la tête sans qu’il ne soit possible de les stabiliser. Amender le texte, texte amendé, laisser le texte s’amender. 

Mais la phrase était venue en réponse à quoi déjà ? Je ne me souviens plus. J'avais dit quelque chose. Un jour. A qui donc ? Et pourtant quelqu'un a répondu. Quoi exactement? Je ne sais plus. J’ai du perdre la question en chemin

L’écriture tombe toujours à côté, est-ce pour cela, qu'elle ne s’arrête jamais. Et pourtant elle fixe ce qu'elle vient de sécréter. Laisser un texte s'amender, est-ce laisser ouvert ce qui habituellement, se fige, là, à l'instant puis accueillir sa vie intérieure. 
Trop de labeur tue le texte. Assassine l’écriture. Parfois. 
Trop polir les mots étouffe le vent qui y souffle. Parfois. 
Car toutes ces imperfections, c'est aussi la vie, ses ratés, ses bougésC'est la vie vivante, celle que cherchent la trace de l’encre fraîche et la voix des mots. Mots encore brouillons, mots mal-à-propos, mots retenus entre les lignes. Mots qui permettraient de lire en respirant, de marcher en parlant, de rire en regardant les nuages. Bien qu'ils annoncent l'orage qui fait prendre en courant les chemins de traverse.





On peut amender un texte comme un terrain, dit la langue. Langue, je te prends au mot ! Et je te donne de l’engrais, et je te travaille, et je te laboure. Et je te sème, et je te laisse ouvert à ce qui peut pousser, mauvaises herbes et friche y compris, ça donne quoi ?
Un ami jardinier me disait :
-"Il faut toujours un peu de poésie dans un jardin."

                                      

Amender, est-ce faire pousser à fond perdu ? Sans mise particulière. Sans enjeu. Ah, quelle légèreté... Dire et dire et encore dire, tant que dure la vie. Un dire qui dure, sans que cela ne soit trop dur. Un dire, qui pousse, tout en se délestant de ses bagages inutiles. Un dire qui a la voix du matin silencieux lorsque les mots retrouvent la musique des sons. Un dire qui, par l'écriture, rend vie à la parole.

Un texte amendé, dit la langue, encore elle, oui, oui, est un texte amélioré. Qui donne une réponse au problème qui s'est posé à lui. Mais, même avec son eurékà stabilisé au bout des lignes, voilà que d’autres questions le bousculent encore. Elles lui font poursuivre son chemin. Vers le large. Toujours.

Serait-ce alors le laisser s’amender… tout seul, à partir de ce qui ne cesse de proliférer, mauvaises herbes et surprises en tous genres ? Serait-ce le laisser vivre par lui-même ? Comme un tableau, comme une sculpture, mais aussi comme la boîte de conserve oubliée sur la table qui prend soudain un relief de nature morte, ou la gamelle du chien qui attend de son regard doux sa pitance. Lui aussi, parle, debout sur ses pattes engourdies. 
Des mots comme des choses que ne nourrissent ni le sens, ni le non-sens. Des mots agités par la vie, entre bruit et silence. 
Et les lecteurs viennent à la rescousse. Ils poursuivent la vie des mots. Tableau, boîte, gamelle ? Et les voilà vivants à nouveau, entrant dans cette nouvelle hospitalité. Etranges épiphanies de l'être.











vendredi 27 septembre 2013

Traduire ou l'advenue de la langue


Traduire ou l'advenue de la langue

Je ne parle pas le cambodgien. Elle m'a raconté longuement comment sa mère n'est revenue qu'il y a quatre ans, dans le village où elle a vécu sous le régime de Pol Pot. Trop d'horreurs l'avaient empêchée, jusqu'à présent, de penser même ce retour. Et elle, sa fille, elle qui n'a pas connu tout ça, me le raconte, la voix emportée par les affres de la mère. Un nom de ville. Une expression. Une injure. Des cris étouffés. Des mots, épars, en vrac.

Je lui ai demandé comment cela se disait en cambodgien. De me les traduire en cambodgien.
Elle m'a dit un mot que je n'ai bien sûr pas compris. Puis des phrases, puis d'autres encore et encore. Elle n'a plus cherché à traduire. Elle n'a plus cherché le mot juste, le plus adapté à ce qu'elle voulait dire. Je ne sais pas d'ailleurs si le cambodgien dirait de façon plus juste les horreurs dont elle voulait parler. 

Je n'ai rien compris. Je ne parle pas le cambodgien. Mais j'ai saisi dans son regard et le rythme de ses phrases que se levait une langue. Et avec elle, des mots comme paratonnerre, des mots comme pharmakon.



Ils sont pharmakon car ils ne mettent pas au silence. Ils n'ont pas forcément trouvé le mot juste. Oh non. Bien au contraire, ils continuent de se chercher, de se dire, et chemin faisant, ils relancent la vie. .Elle fronce les sourcils. Elle invective des absents. Elle sourit parfois. Des mots pas à traduire. Des mots qui sortent en direct. Des mots juste pour faire advenir quelque chose.
Des mots comme pharmakon de l'âme

samedi 14 septembre 2013

La carpe

                                La carpe

                       


       
Parler, parler. C’est un brouhaha autour d’elle. Et la carpe gobe. Gobe. Tout ce qui se dit. A force de gober, la carpe laisse entendre des borborygmes. Alors on croit qu’elle parle. On dit même qu’elle parle. Ça y est, elle a parlé. Et ce qui sort de sa bouche de carpe, soudain, la fait se retourner sur elle-même. Qui donc vient de parler ? Qu’est-ce donc qui parle ainsi à partir de sa bouche d’ombre ? Quelqu’un n’avait-il pas dit «  Je est un autre ? »

Avec son âme de carpe alors, elle ne sait même pas comment saisir les questions qui se posent à elle. C’est pour ça qu’elle vous les pose, ces questions. Carpe-sphynge. Pour s’en délester. Pour s’en délivrer. Pour les résoudre. Car les sphynges ont des questions auxquelles elles ne savent pas répondre. On le sait bien. C’est pour cela qu’elles interpellent le passant. Elles tentent de leur soutirer un avis qui pourrait arrêter enfin le flot des énigmes qui  s’engouffre en elles. Questions sans fin qui pénètrent dans leur bouche sans fond. Dans ce fleuve du devenir où circulent les êtres les plus improbables. 

vendredi 6 septembre 2013

Amender le texte...?


Amender le texte...?

Matin embrumé. Matin où s'ébrouent les mots. Comme on prend sa douche le matin avant de se plonger dans le monde.
Avec un désir. Ecrire.
Et, voilà qu'à peine sortis du clavier, tous ces textes écrits résonnent déjà en retard sur ce qui est à venir.
Sur ce qu'il est possible de saisir encore et encore.

Un monde entre eux. Jamais rejoint.
Tout, textes, phrases, mots, lettres, tout tombe à côté. De l'illusion d'avoir saisi. Peu importe son complément d'objet direct.


L'illusion d'avoir fait émerger cette étrange épiphanie de l'objet. Miroité. Saisi enfin. Absorbé. Incorporé.

Mais non ! Mais non ! Quelle bonne farce. C'était juste de loin. De si loin. Si long à écrire. A apostropher. A rectifier. A nettoyer. A évider.
Quelqu'un me disait : "laisser amender le texte"...
Laisser la terre recouvrir les pierres, devenir terreau, limon, engrais. Levain.

Puis se retrouver seulement avec de l'air dans les doigts. Et ils s'agitent et ils courent après les lettres qui, aux dernières infos, courent encore et encore.

jeudi 5 septembre 2013

Pas le luxe de...


Pas le luxe de…


Il n’y pas, ici, le luxe d’avoir des états d’âme. Avant, c’était des panières en osier. Améliorées, elles sont maintenant en plastic, purs produits du pétrole. Les parasols, c’est pour la note de couleurs.

Par ici ! Par ici !
Bonne balade !
Pas chère !
On va voir les poissons là-bas !!!
Chacun y va de sa phrase d’accroche. Certains font du xe ôm, quand ils ne sont pas sur l’eau. La pollution est en plus. Ici, au bord de l’eau, l’air est frais. On oublie tout. Pas d’état d’âme, non. N’empêche, il y a le sexe, aussi. Leurs regards le disent. L’un d’eux raconte comme ça simplement à son copin :
Je regarde les films x. Elle est triste ma copine. Elle est triste. Ça me fait du bien !
Un autre éclate de rire. Il lui demande soudain :
Ça te prend comment ? Ça te rend la vie plus gaie ?
Ils rient tous de bon cœur.  Ils continuent de blaguer en attendant le client.
Quand je suis ici sur l’eau, ça flotte, ça me berce.
Moi, c’est pareil. La belle famille, ouf un peu d’air. Ils me méprisent. J’ai pas fait d’études.
L’eau est bleue, bleue, pacifique.  Ici, elle polit les aspérités de la vie. C’est pourquoi ils n’ont pas d’états d’âme, une fois sur  l’eau. Juste l’air du large. Dès qu’ils auront les pieds sur la terre ferme, il faudra penser à nouveau. Penser. Difficultés de l’existence. Angoisse. Argent. Argent. Face à ce bleu paradisiaque qui donne envie de se fondre dans lui.



De l’autre côté de l’île, les rochers s’entassent toujours. Ils semblaient plus petits ? Ou est-ce un effet d’optique ? Eux, non plus, n’ont pas le luxe d’avoir des états d’âme. Là, ici, maintenant, tout de suite, se faire pierre, herbe, ou eau de mer, ou barque du pacifique. Et enfin, plus d’états d’âme. Le sexe, c’était pour ne pas parler des besoins les plus primaires. Manger, boire, dormir, sans parler du reste. Le sexe et son plaisir c’est déjà une vie pas seulement végétative. Le sexe c’est déjà être homme, femme.

Qu’ont donc à faire de tout ça, ces blocs de pierre entassés ? Inertes, immobiles, comme suspendus dans leur chute, ils ont en leurs karmas de pierre, ce luxe infini de ne plus être  transis d’intranquillité sur leur existence.

samedi 31 août 2013

Entre deux

                                                             Entre-deux.

Je ne sais pourquoi, j’aime cet entre-deux, entre-deux moments, entre-deux saisons, quand l’été se prolonge, avec une fraîcheur qui, doucement, va l’expulser. Les géraniums sont bientôt à rentrer. On pourrait ainsi décliner le temps. Entre-deux. La seconde d’après, infiniment lointaine, que n’atteindra jamais la seconde d’avant. Entre-deux, un monde.

Ici, ce sont des rendez-vous, au rythme des secousses de la vie. Entre-deux, eux aussi, car ils espèrent tous un après. Et les murs où ils résonnent, s’imprègnent de ce qui est dit. Mémoire de la pierre. Moiteur de la pièce, toujours, en fin de journée. J’ouvre la fenêtre. C’est le soir. Avec le courant d’air, doucement, repartent les parfums fatigués. Ils se mêlent aux odeurs, à la sueur de la journée, aux tensions des uns et des autres aussi. C’est comme des présences qui s’attardent. Puis soudain, elles disent au-revoir. Elles s’absentent. Jusqu’à demain.

Certaines phrases sont tombées au coin de la fenêtre. Juste là où passe le chat dans la cour de l’immeuble. Il s’étire. Il fait tout ce qu’il faut pour attirer les caresses. Mais aussitôt que vous voulez le caresser, il s’éloigne. Un mètre plus loin. Pas plus. Et il joue. Et les phrases s’éparpillent sous ses pattes, elles se dispersent en de nouvelles, telles des lucioles à la queue-leu-leu. Oups ! Un coup de patte. Où donc est parti le «  je n’en peux plus ! » ? Deuxième coup de patte : P, L, U, S. Chacune de leur côté. P sous le pissenlit. L sous le lilas défraîchi. U, celui d’Ursule, vous savez ? L’uppercut du chat l’a envoyé se balader sous le U que forme le tuyau d’arrosage. S, où donc est-il parti ? Ah ! Le voilà dans l’ombre sombre des sanseveria. Et tous ont pris un coup de frais. L’exaspération s’est dissoute. Entre-deux, du vide, un monde.

Merci le chat ! Je comprends que tu ne veuilles pas te faire caresser. Tu ne veux pas te faire amadouer par les mots des humains. On dit que les chats aiment ceux qui écrivent. Tu leur envoies comme ça, du dessous de tes pattes de velours, des sifflantes, douces comme la soie, chaudes comme la laine, douces et chaudes comme le cachemire, pour s’envelopper dedans, s’y réchauffer, s’y protéger. De tes pattes griffues, ce sont des liquides vibrantes qui arrivent et ça gratte le fond de la gorge, comme une toile de jute mal assouplie.

Ah voilà les bruits de l’immeuble maintenant, les portes qui claquent, l’intimité glougloutante le long des tuyaux, la télé qui démarre. Ma voisine a quatre vingts ans passés. Nous parlons vite fait, entre-deux, avant que chacune ne referme sa porte. Vite fait, dans le couloir. Peu de mots, c’est vrai. Mais au fil du temps, cet entre-deux portes, c’est notre monde. Tout un monde. J’ai appris ainsi sa vie d’avant. Elle avoue même que cette promiscuité de bruits, la rend présente à la vie autour d’elle. Quand les autres appellent la gendarmerie, elle, se met à l’écoute. Les jeunes font la fête.  Elle écoute leur vie, leur musique. Mais elle dit bien au concierge, le matin, que cela la dérange. C’est vrai, ça vibre, dans les murs, surtout les basses. Oui, comme tout le monde, ça la dérange. Elle se plaint comme tout le monde, elle participe comme ça, au discours ambiant. C’est encore vivre que d’être dérangée. Au fond, me confie-t-elle, tout ce bruit, c’est la vie. D’ailleurs elle ne dort pas la nuit. Alors, elle se met à l’écoute. Entre-deux. Entre nuit et lumière.

Tout arrive par effluves, mots, bruits de vaisselle, musique, infos, pêle-mêle, tous affluent par la fenêtre ouverte.  Quand ce ne sont pas les odeurs de cuisine. C’est étrange comme ce sont les odeurs qui semblent les plus insupportables quand l’habitude n’est pas là. C’est comme l’odeur de l’autre, quand on ne peut plus le sentir.

C’est la rentrée. Ils n’arrêtent pas de le dire. Le soir, fenêtre ouverte, il y a encore un sursis. Avant que cela ne recommence. Entre-deux jours.

Ecrire le soir, dans l’ombre du dernier jour. Garder encore la légèreté de ces imperfections qui laissent la sensation d’une encre encore fraîche. Pétrir les mots sans qu’ils ne dévoilent trop leur fatigue, leur travail. Nouveaux destins de mots, de phrases, de virgules, dans des bulles, plein de bulles.

Ecrire encore un peu ce soir, entre-deux. Avec et encore des images plein la tête. Entre mots et images. Un monde.

Tu crois que c'est vrai ?

Tu crois que c’est vrai ?



Je suis veuve de guerre, je n’ai pas d’enfants, personne pour me nourrir.  Fruits ! Fruits ! Fruits ! Achetez mes fruits !


Mangoustan 1 :Tu crois que c’est vrai ? 
Mangoustan 2 : Elle nous met dans le panier tous les matins… on sait pas nous, on ne voit rien par-dessus le panier.
Mangoustan 3 :Tu parles ! Tous les matins je la vois passer ! Elle amène des enfants à garder plus loin, peut-être de la famille, qui sait ?
Mangoustan 4 : Ou des petits voisins ? Tu crois pas, toi, que c’est peut-être des petits voisins, pour avoir un peu d’argent !?

 Ho ! Ho ! vous êtes quand même pas un peu dur, les petits ?

jeudi 29 août 2013

Le balcon qui n'existait pas


           Le balcon qui n’existait pas

                                                



Balcon sur, balcon sûr. Balcon sûrement inutile. Balcon sur vide barré de teck. Pour oisifs contemplant la lune.  Imbus d’eux-mêmes. Toisant le monde. D’en haut.

Lotus d’eau, miroirs d’eau, rêves d’eau. A leurs pieds. On gribouille, on proclame, on profane, on piétine. Abondamment.

                                                                                                                                                                             
Sous le balcon, c’est sûr, ils  rêvent ou ils sont tous insomniaques.  Mais qui donc se réveille ? Ils sont pourtant tous venus, aujourd’hui. Avec des pleurs plein les yeux. Des lamentations plein la bouche. Face au balcon, leur bureau des réclamations. Ils espéraient la paix tout simplement. Une paix durable, douce, fraîche, vraie…,  normale quoi. Mais voilà. Elle arrive, décadente, claudicante, hoquetante. Comparution impossible. Y a plus. Y est plus. Absente, rayée de la carte. Depuis la nuit. Quelle nuit ? L’autre nuit. Les autres nuits. Toutes les autres nuits. Depuis la moire vibrante des nuits insomniaques.
                                                 

Les nuages flottent. Les lettres s’emmêlent. Elles vous font des couleurs pas possibles puis des images et parfois de drôles d'idées. Et les mots trébuchent, arrivent à saute-mouton, dans l’écume des lèvres. Timides, engourdis, salis par la soupe du matin. Mais certainement ni assez vigoureux, ni assez souples pour soutenir un regard affirmé sur le monde.

Et voilà les colères et les bagarres qui démarrent. Bien sûr. Evidemment. Comme à chaque fois. On en vient aux mains. Car les mots dérapent. Voilà aussi toutes ces rencontres improbables entre l’étage du balcon, le sous-sol de l’eau et la vapeur de l’air. Et ce que l’un ne peut dire, l’autre se met  à le dire avec ses mains, avec ses pieds, avec son eau, avec ses molécules, vert, bleu, noir, et puis sa boue pour finir. Parce que l’autre n’entend pas. Et vlan ! Un petit coup pour te réveiller. Un bon direct. Efficace. En plein dans le mille. Dessus, dessous.

C’est un sous-titrage permanent de la vie qui défile. Commentaires, rumeurs, bavardages, radotage, tout y passe, ça défile, en flot continu. C’est la vie. Consubstantielle au brouhaha. Elle. Lui. La vie. En tous ses états.

 

Le balcon, nul ne sait où il est. Certains chuchotent même qu’il n’existe pas, qu’il n’a jamais existé.
                                      Mais certains y prennent encore et toujours rendez-vous.


                                        Mais certains y prennent encore et toujours  rendez-vous.



mercredi 28 août 2013

FLIC FLAC FLOC





Un éventail rond.  Flottant sur l’eau. Vert, orange, jaune, mauve.
Les rebords écaillés du vase ne vous  épargneront aucun repentir.

Flic. Flac. Floc. 
Ils se heurtent au hoquet d’un moine penché au-dessus de l’eau.

Le bruit de la forêt

Les rendez-vous ont repris. Je suis là dans le fauteuil, à nouveau. Derrière moi, toujours, le chemin. Et le désir de l’écrire. Le chemin. Pour l’avoir sous la main. Juste à disposition, par jour de grand froid, de grand vent, de grande fatigue, de grande déprime. Ouf. Juste pour oxygéner l’air ambiant. Il y a des troncs, noirs, droits, hirsutes comme des i et des l, dressés dans la forêt. Et mes doigts deviennent noirs de cette encre improbable. Sous ce tunnel de feuilles. Sans lumière au bout.





Une vie de pierres s’étale au milieu des herbes. Des pierres disjointes, fêlées, qui ont rencontré la chaleur, l’humidité, le craquement des branches, le pas des passants. Destins de pierres, passeurs d’empreintes, de traces, de froissements.  




La terre est rouge, ici, friable, fertile, fertile, si fertile. Depuis si longtemps. Elle s’agglutine à la chaussure le long des marches, elle fait déraper comme  le fait parfois la vie. Terre rouge, séchée au soleil. Tessère. Tesson. Taisons les sons des ramures des fougères. Elles sont devenues anecdotes, matières, stupeurs, parsemées sur la brique. Un craquement. Une feuille dentelée s’est cassée, elle est tombée, asséchée. Là. Pour quelques millions d’années. Elle est devenue fossile dans son lit de terre rouge. Sceau de la nature dans le corps de la terre.

Mon fauteuil fait maintenant corps à la forêt. Il écoute. Il dévale lui aussi les pentes. Et les mots s’accrochent aux cimes des pins.

 -FLIC. FLAC. FLOC.
C’est le bruit de la forêt.
 J’en garde. 
Un peu pour la route. Pour m’accompagner aujourd’hui. 

Les rendez-vous ont repris.





lundi 26 août 2013

dans un pli de l'âme

L'âme a des plis. J'ai soulevé ce matin là, un de ses plis, pris encore dans la rosée de l'herbe.


Tu étais assis là depuis quelques décennies. Bienheureux qui te loves ainsi dans cette bulle du temps. Méditatif depuis si longtemps. Méditations fraîches à l'abri du soleil.Je serais restée, une éternité, là, dans ce pli du temps. Pour converser avec ton regard de pierre. Tu me souris. Toujours. Et dans ton regard, gîte la douce pulsation de la mémoire. Elle bat comme un cœur chaud et obscur. D'elle, se déverse, goutte à goutte, une vie, un temps, un espace. Une question, comme en suspens. Préservée de coupures, chaude de sensations, vibrante de tonalités. Étonnement. Incertitude. Sans réponse. C'est au-delà d'une musique de la mémoire. C'est une conversation dont on aurait oublié les mots. Mais dont il reste l'essentiel. Dans l'antre du silence. Et les tons mélodiques qui grondent dans ta gorge, racontent des postures de la vie, enracinées dans les plis de l'âme. Vivante, lancinante, envoûtante, percutante, forest song, qui se balance d'arbre en arbre. Tu ne m'avais jamais quittée. L'âme a seulement des plis. A soulever. A accueillir. A écouter. Il y a un gong au loin. C'est une humanité faite d'herbes et de forêts.